MONTPEZAT SOUS BAUZON : UNE CENTRALE HYDROELECTRIQUE AU COEUR DU ROCHER

Publié le par Pierre Nicolas

Image d'archive du lieu de la catastrophe du 20 août 1955

Image d'archive du lieu de la catastrophe du 20 août 1955

Vue d'une partie de l'étendue d'eau naturelle de la commune du Lac d'Issarlès.

Vue d'une partie de l'étendue d'eau naturelle de la commune du Lac d'Issarlès.

Le journal "La Gazette des Cévennes" dans lequel est édité l'intervention de Paul Ribeyre.

Le journal "La Gazette des Cévennes" dans lequel est édité l'intervention de Paul Ribeyre.

Comme toute commune, Montpezat sous Bauzon possède un riche patrimoine géographique, historique, religieux... Mais ce qui la différencie des autres, c'est la présence d'un site industriel particulier : une centrale hydroélectrique souterraine implantée à cent mètres environ en dessous du bâtiment d'exploitation visible sur le site.

HISTORIQUE -

Il y a soixante années maintenant que ce complexe a été mis en service. Le 18 novembre 1948, Paul Ribeyre, député de l'Ardèche et maire de la commune thermale ardéchoise de Vals les Bains, obtenait de l'Assemblée Nationale le vote de cet important projet d'utilité publique et son financement, à savoir : le captage des eaux de la Loire supérieure et les travaux d'aménagement de la chute de Montpezat sous Bauzon.

A noter que la brillante intervention de M. Ribeyre fut déterminante, malgré la vive opposition de divers parlementaires de la Loire et de la Haute Loire qui estimaient leurs département lésés par le projet, et les observations du représentant des riverains du Rhône.

Nous avons retrouvé l'intervention intégrale du député de l'Ardèche, parue le 27 novembre 1948, dans l'hebdomadaire indépendant de l'Ardèche "La Gazette des Cévennes". Etait également publié un article relatant la visite du chantier conduite par le maire et conseiller général de Montpezat, Joseph Durand, accompagné de Victor Plantevin, maire et conseiller général de Burzet, qui avait pris une part très active à la prise en considération du projet. Les deux édiles étaient reçus par M. Riffaud, représentant EDF et son adjoint M. Prenat, rejoints plus tard par M. Aufort, directeur des travaux de la Société Générale et d'Entreprises pour les chantiers de Montpezat.

DESCRIPTION DU COMPLEXE ET SON FONCTIONNEMENT -

L'usine hydroélectrique de Montpezat est alimentée par les eaux retenues dans les barrages de La Palisse et du Gage, ainsi que celles du l'étendue naturelle de la commune du Lac d'Issarlès.

Le barrage de La Palisse qui reçoit les eaux de la Loire est situé à 1010 mètres d'altitude. Sa capacité totale est de 8 500 000 m3 et sa capacité d'évacuation du déversoir de 640 m3 à la seconde. 30 000 m3 de béton ont été nécessaires à sa construction. L'ouvrage a une longueur de crête de 157 mètres et une hauteur de 57 mètres.

Le barrage du Gage reçoit les eaux de la rivière du même nom. Il est situé à une altitude de 1010 mètres. Sa capacité totale est de 3 400 000 m3 et sa capacité d'évacuation du déversoir de 237 m3 à la seconde. Sa construction a nécessité 15 000 m3 de béton sur une longueur de 156 mètres et une hauteur de 41 mètres.

L'étendue naturelle du Lac d'Issarlès, située à 1003 mètres d'altitude, a un volume stockable de 35 000 000 m3. Elle est utilisée comme réservoir après avoir été reliée, par une galerie, aux deux autres barrages.

Une galerie horizontale de 17,425 km, creusée dans la montagne, amène l'eau (débit de 22 m3 à la seconde) jusqu'au bord du plateau surplombant la rivière Fontaulière et au bas duquel est implantée la centrale, laquelle reçoit l'eau au moyen d'une conduite forcée verticale de 1483 mètres et 2,3 mètres de diamètre (débit de 22 m3 à la seconde).

L'usine est creusée dans le rocher afin d'accroitre encore la hauteur d'eau utilisable. Elle comporte deux salles : celle des robinets sphériques et celle des machines dans laquelle sont installés les deux groupes générateurs comportant chacun un alternateur et deux turbines. Ce complexe souterrain de 60 mètres de longueur, 13,50 de large et 16,50 de hauteur est relié aux bâtiments d'exploitation situés à l'extérieur par une galerie inclinée.

La productibilité moyenne annuelle est de 300 millions de kw/heure. L'usine est télécommandée depuis Lyon.

Depuis quelques dizaines d'années, le barrage de Pont de Veyrières, situé à l'aval de la centrale de Montpezat, sur la rivière Fontaulière, met à la disposition du département de l'Ardèche un volume d'eau maximal de 12 millions de m3 pour le soutien d'étiage du 15 juin au 15 septembre (activités nautiques, eau potable et irrigation).

Cette centrale, dite de hautes chutes, est classée dans les quarante premières grandes usines hydroélectriques nationales (sur 550 centrales).

LA GALERIE D'ACCES A LA SALLE DES MACHINES : 55% DE PENTE SUR 300 METRES -

Les problèmes de manutention de l'usine ont revêtu un caractère particulièrement ardu car, contrairement aux principales usines souterraines existantes, la galerie d'accès de celle-ci présentait une pente de 55% sur une longueur de 300 mètres et comportait, à chaque extrémité, un tronçon horizontal relié à la pente par un grand rayon de courbure. Transport du personnel et des charges légères à vitesse rapide, transports des charges lourdes à vitesse lente...devaient se faire avec le maximum de sécurité. Ces paramètres ont conduit à la solution de la crémaillère.

L'aménagement définitif comprend : deux chariots automoteurs roulant sur deux files de rails crémaillère, l'un dit "chariot ascenseur" assurant le transport du personnel et des charges inférieures à 3 tonnes aux vitesses de 30 à 60 mètres par minute, l'autre dit "chariot monte-charge" assurant le transport de charges jusqu'à 6 tonnes à 15m/min et le transport de charges jusqu'à 135 tonnes à 3m/min. Ces deux chariots sont équipés chacun de moteurs de 60 CV. L'alimentation est faite par trolleys rigides situés entre les deux crémaillères. Poids totaux en charge : 14 T pour le chariot ascenseur et 185 T pour le monte-charge.

Cette réalisation est unique à ce jour, car si de nombreux chariots à crémaillère ont été construits, jamais la charge manutentionnée, ni la pente n'ont atteint les performances décrites ci-dessus. La recherche de la sécurité maximum et du prix de revient minimum ont conduit à l'adoption d'une double crémaillère en acier moulé utilisé brut de fonderie et dont le support de denture assure le chemin de roulement des galets porteurs et moteurs.

LE CHARIOT DE LA MORT -

Le samedi 20 août 1955, dans l'après-midi, dix personnes et le machiniste montent dans le chariot qui les conduira dans la salle des machines.

Mise en service en 1954, la centrale EDF de Montpezat pouvait être visitée sur demande déposée auprès du responsable de l'usine. Il faut rappeler que lors de la construction, le choix s'était porté sur une conception de chariots à crémaillère à la place de la solution à câbles, plus classique pour les transports du personnel et du matériel du bâtiment de surface vers l'usine souterraine accessible par une galerie inclinée.

Dans le bâtiment de surface, et plus précisément dans la salle de commandes, le chef de quart constate une alarme "services auxiliaires usine". Cette alarme le préoccupe : un appel téléphonique puis par le haut-parleur à la salle des machines reste sans réponse. Il craint alors un incident de freinage intempestif sur le chariot, comme il s'en est déjà produit, et s'inquiète pour les visiteurs qui risquent de s'affoler. Il se dirige vers la galerie. En arrivant en tête de celle-ci, il pressent qu'il s'est passé quelque chose de grave en apercevant de la fumée qui en remontait. Plus il descend vers la salle des machines (1), plus la fumée est épaisse et il doit faire usage de sa lampe portative pour se diriger. Il découvre alors le chariot disloqué, écrasé contre la paroi de la salle des turbines avec ses occupants : une vision d'apocalypse. Sans avoir la possibilité d'intervenir seul et ne pouvant appeler du lieu de la catastrophe, il remonte à pied pour prévenir les secours. Le constat est dramatique : tous les occupants sont décédés et parmi eux cinq membres de la même famille.

D'après les témoignages recueillis auprès d'agents aujourd'hui retraités, présents ce jour-là, le chariot serait descendu en chute libre après cent mètres de parcours et se serait écrasé au fond de la salle des turbines, sans quitter ses rails, sans toucher le sol de ladite salle à une vitesse estimée à environ 300 km/h. Arrivés sur les lieux de l'accident, secouristes et personnel de la centrale commencent à dégager les corps mutilés pour les monter jusqu'à la salle d'accueil. MM Ribeyre et Plantevin, respectivement député-maire de Vals les Bains et conseiller général de Burzet, sont également présents.

Tenu pour responsable de cette catastrophe, le constructeur du chariot est condamné par le tribunal correctionnel de Largentière (Ardèche) à 15 jours de prison avec sursis et à verser vingt millions de francs aux familles des onze victimes. Ce jugement a tét rendu le 28 octobre 1958

(1) - La salle des machines est également accessible par des quelques 700 à 800 marches...plus dure est la remontée.

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